Entretien avec Lise-Hélène Cortes

Nous vous proposons de partir en excursion au pays de l’approche systémique paradoxale.

Pour vous préparer à ce voyage, vous devrez vous délester d’un certain nombre de croyances et d’habitudes, et ouvrir votre esprit à un nouveau cadre de référence.

Lise-Hélène Cortes, consultante et formatrice, répond à nos questions et nous guide en terre étrangère.

 

Pouvez-vous résumer l’approche systémique paradoxale ?

L’approche systémique paradoxale s’appuie sur une vision systémique : les problèmes pour lesquels nos clients sollicitent notre appui ne sont pas le résultat de dysfonctionnements personnels. Ils ont surgi dans un contexte particulier, et se sont maintenus dans les interactions avec des membres de leur système (la famille, le milieu professionnel, la société…) ou avec eux-même en dépit de leurs efforts et de leur compétence.

L’accompagnement systémique paradoxal aide les personnes à explorer leur problème dans ce contexte particulier et ajuster leurs interactions au sein de ce système pour trouver un nouvel équilibre.

 

A quoi reconnaît-on un système écologique ?

Un système est écologique quand il sait se reconfigurer.

Un système écologique est comme un ruisseau qui coule. Quand un arbre tombe dans l’eau ou qu’une pierre fait obstacle à son écoulement, l’eau trouve un nouveau chemin pour passer.

Quand un client nous sollicite, le ruisseau ne coule plus. Alors, on l’amène à explorer la situation avec soin. Peut-être choisira-t-il simplement de déplacer un petit cailloux de 50 grammes et que cela suffira.

 

Quels sont les grands principes du modèle ?

L’un des principes de base du modèle est que nous n’avons pas d’opinion sur ce que pense, fait ou veut le client. Il est libre. En revanche, il vit dans un monde dans lequel sa liberté s’exerce. L’un des aspects du travail systémique consiste à l’aider à explorer les conséquences des options qui se présentent à lui.

Notre position en tant qu’intervenant est basse : c’est lui qui connaît le mieux son système, nous n’avons pas de solution miracle à proposer, c’est lui qui est compétent et reste à la manœuvre. Notre appui est provisoire.

La systémique nous dit aussi qu’un repositionnement adapté d’un acteur du système peut amener des changements et permettre au système de mieux fonctionner. Parfois, adopter un positionnement adapté consiste simplement à stopper un comportement qui ne porte pas ses fruits.

 

Quelles sont les grandes étapes d’un accompagnement systémique paradoxal ?

La première étape est d’aider le client à explorer la situation et à préciser ce qui lui pose problème. Nous l’accompagnons ensuite à définir ce qui serait un “mieux” par rapport à sa situation actuelle : à quoi ressemblerait une situation possible et acceptable pour lui ? Reconnaître que la situation parfaite n’existe pas permet parfois déjà un soulagement.

Puis, nous cherchons à identifier ce qu’il a déjà tenté pour résoudre son problème : s’il estime n’avoir pas tout tenté, nous l’accompagnons à définir ce qu’il aimerait essayer de nouveau. S’il a déjà tout exploré et que ses tentatives n’ont pas résolu le problème, nous l’amenons à freiner, c’est-à-dire arrêter de mettre en œuvre les solutions qui ne fonctionnent pas.

Ainsi, progressivement, en nous appuyant sur ce qui est important pour lui, nous l’aidons à arrêter les tentatives infructueuses qui ne fonctionnent pas, soulager la tension vers un objectif inatteignable et retrouver de l’énergie et de la créativité pour explorer de nouvelles possibilités.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple d’intervention ?

Prenons l’exemple d’une personne que j’ai accompagnée et que nous appellerons Gilles.

Gilles est directeur d’une association. Il aimerait que son conseil d’administration lui livre la stratégie à déployer dans le prochain projet associatif. Très attaché à cela, il les relance plusieurs fois, il attend la stratégie qui ne vient pas. Il est en colère et a l’impression que son Conseil ne le soutient pas.

Lors de la première phase de l’accompagnement, nous explorons la situation qui le met en tension. Il en ressort que les membres du conseil d’administration sont des bénévoles avant tout là pour leurs convictions. Leurs compétences et leur vision sont finalement bien plus limitées que Gilles ne l’aimerait. Il est celui qui a la plus grande expertise du domaine et la meilleure connaissance du terrain.

Je lui propose un recadrage : on observe souvent, dans le milieu associatif, que le dirigeant soit un peu seul au moment d’écrire le projet. “Dans ce cas, au moins, le Conseil n’est pas en train d’écrire une stratégie qui va à l’encontre de votre vision et de ce qui est pertinent ! Et c’est une preuve de la confiance qu’ils vous portent, sans doute…”

Progressivement, sa perception change, sa posture s’assouplit. 

 

Concrètement, que se passe-t-il après ?

Nous construisons ensemble un séminaire avec le Conseil d’administration dédié au nouveau projet associatif. L’objectif est de construire un chemin possible.

Le séminaire est d’abord une occasion de réaffirmer l’engagement de chacun. Quel est notre objectif commun ? Pourquoi suis-je bénévole dans cette association ? 

Chaque acteur vérifie qu’il a toujours quelque chose à faire avec le groupe.

Nous explorons ensuite avec les apports du directeur le contexte et ses évolutions, les forces et les limites de l’association. Cela permet à chacun de mieux comprendre ce qui se déroule, et de compléter ce tableau avec son expérience.

Une fois les orientations stratégiques retenues, et les besoins mis en évidence, nous explorons les compétences de chaque membre du Conseil : que pouvez-vous apporter ? (Sans présumer qu’ils sont obligés de le faire.) Quelles sont vos forces ? Sur quoi aimeriez-vous vous positionner? 

Cette séance de travail permet à chacun de trouver la place de son action avec ses compétences, son réseau, son envie. Finalement, avec le travail préparatoire réalisé par le directeur, la stratégie se met en musique collectivement.

Le système se reconfigure.

 

Quelles conclusions tirez-vous de ce travail collectif ?

L’idée de ce séminaire était d’amener les membres du Conseil d’administration à agir sur ce qu’ils peuvent plutôt que de les pousser sans succès à faire quelque chose qu’ils ne peuvent pas faire.

Grâce à cette approche, nous avons amené les parties prenantes à expliciter leur vision du monde. Les points de divergence et de convergence ont émergé, dans un vrai débat.

Le directeur a pris conscience qu’il ne pourrait pas obtenir ce qu’il voulait, mais qu’il pourrait obtenir autre chose, et que cet autre chose lui convenait. Il a vu la réalité de son système à ce moment-là et s’est adapté. La situation aurait aussi pu ne pas leur convenir, il aurait pu alors décider de rester ou chercher à partir en connaissance de cause.

L’approche systémique paradoxale permet à nos clients de regarder la situation et de se demander : comment ai-je envie de me positionner face à cette réalité ?

Ainsi, nous les aidons à exercer leur liberté dans un contexte donné, c’est-à-dire à l’accepter ou à se rendre compte que le contexte ne leur convient plus, et à en tirer les conséquences, en explorant les opportunités et les risques.

 

En quoi l’approche systémique est-elle paradoxale ?

Une personne se trouve dans une impasse, face à un mur. Elle souhaite traverser le mur car derrière se trouve ce qu’elle veut. Elle se “cogne” encore et encore contre le mur. En tant que praticien systémique, nous l’encourageons à freiner ce comportement qui ne porte pas ses fruits. 

Nous l’invitons à s’arrêter, à regarder le mur, et à regarder à l’opposé aussi. A quoi ressemble l’environnement ? “Si vous vous tournez et que vous observez dans l’autre direction, quels chemins sont possibles ?”

Le paradoxe tient au fait que nous aidons le client tout en lui disant qu’il faut peut-être qu’il arrête de vouloir ce qu’il veut. Nous l’invitons à faire quelque chose d’a priori contre-intuitif.

 

Quelles ressources recommandez-vous pour aller plus loin ?

  • Vers une écologie de l’esprit, Gregory Bateson
  • Comment réussir à travailler avec presque tout le monde, Lucy Gill 
  • Traiter les cas difficiles. Les réussites de la thérapie brève, Richard Fisch Karin Schlanger
  • Les ressources mises en ligne par l’association Paradoxes

 

Propos recueillis par Agathe de Mauléon

Pour en savoir plus sur notre formation à l’approche systémique paradoxale, rendez-vous dans l’onglet l’agenda.